Théâtre Vivant des Statues à Niort en 1888 : Différence entre versions
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::Je vis autour quatre jeunes filles, toutes plus mignonnes l’un que l’autre, qui avait l’air de la bonne affaire ; la plus petite nous disait que si nous voulions entrer : 50 centimes aux premières et 25 centimes aux secondes, nous verrions des beaux tableaux vivants, une affaire comme on en encore jamais vu depuis longtemps. | ::Je vis autour quatre jeunes filles, toutes plus mignonnes l’un que l’autre, qui avait l’air de la bonne affaire ; la plus petite nous disait que si nous voulions entrer : 50 centimes aux premières et 25 centimes aux secondes, nous verrions des beaux tableaux vivants, une affaire comme on en encore jamais vu depuis longtemps. | ||
:« ''Ol est ithi qu'o n'en rontrit dau meinde, la madame thi recevait la mouné peuvait à peine vreti ; toutes lés piaces siront d'austoût prises.'' » | :« ''Ol est ithi qu'o n'en rontrit dau meinde, la madame thi recevait la mouné peuvait à peine vreti ; toutes lés piaces siront d'austoût prises.'' » | ||
− | ::C’est ici que rentrait le monde, la madame qui recevait la monnaie pouvait à peine fournir ; toutes les places furent aussitôt | + | ::C’est ici que rentrait le monde, la madame qui recevait la monnaie pouvait à peine fournir ; toutes les places furent aussitôt prises. |
:« ''In cot rentré thiés meindes ne challegiront jà à nous feire veure ce que le nous aviant premis : v'la la berlinette thi soune, le ridè se leve et on voué le premaie tablieau : Saint Antoine et une belle demouéselle.'' » | :« ''In cot rentré thiés meindes ne challegiront jà à nous feire veure ce que le nous aviant premis : v'la la berlinette thi soune, le ridè se leve et on voué le premaie tablieau : Saint Antoine et une belle demouéselle.'' » | ||
::Un coup rentré ce monde ne réussira t-il à nous faire voir ce qu’il nous avait promis : voilà le grelot qui sonne, le rideau se lève et on voit le premier tableau : Saint-Antoine et une belle demoiselle. | ::Un coup rentré ce monde ne réussira t-il à nous faire voir ce qu’il nous avait promis : voilà le grelot qui sonne, le rideau se lève et on voit le premier tableau : Saint-Antoine et une belle demoiselle. | ||
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::Ils ne bougent pas plus que s’ils étaient en marbre, mails sont vivants ! La demoiselle voudrait la bise et lui ne le veut pas, il en est beaucoup de ceux qui ne feraient pas comme lui s’ils étaient à sa place. | ::Ils ne bougent pas plus que s’ils étaient en marbre, mails sont vivants ! La demoiselle voudrait la bise et lui ne le veut pas, il en est beaucoup de ceux qui ne feraient pas comme lui s’ils étaient à sa place. | ||
:« ''Au sequiend cot de berlinette, y vayant la feuille de Pompée aux péds de Césare, thi vint demondaie à thieu chéti gar que le ne fase pas copaie le cou à san bounhomme de père, le ne veut rein étondre, de son degt l'a l'air de li dire "virte d'ithi, virte d'ithi..." On creirait pat moument que le sont en cire, le ne bougeant rein, meis ce que l'on appelle rein : ol est thieu thi foit qu'el est bè.'' » | :« ''Au sequiend cot de berlinette, y vayant la feuille de Pompée aux péds de Césare, thi vint demondaie à thieu chéti gar que le ne fase pas copaie le cou à san bounhomme de père, le ne veut rein étondre, de son degt l'a l'air de li dire "virte d'ithi, virte d'ithi..." On creirait pat moument que le sont en cire, le ne bougeant rein, meis ce que l'on appelle rein : ol est thieu thi foit qu'el est bè.'' » | ||
− | ::Au second coup de grelot, nous voyons la fille de Popée aux pieds de César, elle | + | ::Au second coup de grelot, nous voyons la fille de Popée aux pieds de César, elle vient demander à ce méchant gars qu’il ne fasse pas couper le cou à son bonhomme de père, il ne veut rien entendre, de son doigt il a l’air de lui dire ; « Pars d’ici, pars d’ici... On croirait par moment qu’ils sont en cire, ils ne bougent pas, mais ce que l’on appelle rien : c’est cela qui fait que c’est beau. |
:« ''In moument apraie, meis pousie de temps quond meime pace que le ne musant rein, le nous fasiront veure Cléopâte. | :« ''In moument apraie, meis pousie de temps quond meime pace que le ne musant rein, le nous fasiront veure Cléopâte. | ||
:Thiau thi est in dos pu bès et le sont tout in soulea les ins mottés, lés autes debout ; ol en at thi avant dos mogues, lés autes dos potets et le s'arrousant après la dalle d'au cou. ''» | :Thiau thi est in dos pu bès et le sont tout in soulea les ins mottés, lés autes debout ; ol en at thi avant dos mogues, lés autes dos potets et le s'arrousant après la dalle d'au cou. ''» |
Version du 28 août 2022 à 07:50
Sommaire
Préambule
- En 1881, Léon Gambetta nomme le niortais Antonin Proust au nouveau poste de secrétaire d'État, avec rang de ministre, aux Beaux-Arts.
- Une abondance de sculptures dotées à la ville de Niort à cette époque serait due à Antonin Proust (1832-1905) pendant son bref passage comme ministre des Arts mais aussi par ses relations avec des artistes renommés de l’époque.
- En cette fin de XIXe siècle la ville de Niort fut même nommée par la presse : "Ville des Statues".
- Aujourd'hui pour diverses raisons ces chefs-d’œuvre ne sont plus visibles des promeneurs niortais, soient qu'elles n'existent plus ou furent déposées au musée Bernard d'Agesci.
- Plusieurs statues sont largement inspirées des héros de la mythologie grecque.
- Ces statues niortaises, installées après 1881 dans les Jardins de la Brèche et le Jardin des plantes sont alors l’occasion d’une présentation théâtralisée :
- En août 1888, un Théâtre Vivant est installé sur la place de la Brèche, il se termine par une représentation dans la salle du Manège.
Un récit en patois décrit ce que l’on voit et donne les sentiments du narrateur qui découvre ce Théâtre Vivant mettant en scène dans une trentaine de tableaux quelques statues de la mythologie grecque.
Théâtre vivant en août 1888 présenté sur la place de la Brèche
- « L'aute saie en cherchant la fraichou sous thiés gronds âbres qu'ol at au bas de la Brèche, i avisit un grond rassombliement d'houmes, de fames et de drôles, voûre ol y avoit dot geondarmes, thi ar’gardiant ine baraque. »
- L’autre soir en cherchant la fraîcheur, sous les grands arbres du bas de la Brèche, j’avisai un grand rassemblement d’hommes, de femmes et d’enfants, où il y avait des gendarmes, ils regardaient une barraque.
- « I m'appechit in pouaie, sans me sérait sacquaie trop praie pre thieu, et i vayit un houme thi ressomblle joliment è thiau garde Parsée (1), avecque un sarpea à la moen et thi a l'air de dire à la Gorgoune que le vat li copaie le cou pas bé lein dos épalles. Dèque i vayit thiau badinage, i dissit en mé meime o ne m'étoune pu rein que les geondarmes sègent ithi ! »
- Je m’approchais un peu, sans m’être placer trop près d’eux, et je vis un homme qui ressemble joliment à ce Persée, avec une serpe à la main et qui à l’air de dire à la Gorgone qu’il va lui couper le cou pas bien loin des épaules. Dès qui je vis ce badinage, je dis en moi-même, ça me n’étonne plus de rien que les gendarmes soient ici.
- « Thiau Parsée se relevit tôt d'in cot, mettit san sarpea de coûté, et ne fasit de maue à persoune ; o n'est pas de li queme de thieu qu'ol at dans la vregeaie, l'est vivant ! »
- Ce Persée (1) se releva tout d’un coup, mis sa serpe sur son côté, et ne fit de mal à personne ; ce n’est pas de lui comme de celui qui est dans le verger (Jardin du haut de la Brèche), il est vivant !
- « I vayit otout quate gènes feilles, tretoutes pu megnounees l'ine que l'aute, thi aviant l'air de la boune affaire ; la pu p'tite nous dissit que s'y v'iliant rontraie : 50 centimes aux premères et 25 centimes aux s’condes, i veuriant dos bès tableaux vivants, ine affeire queme on a core jamoué vu thiau leing. »
- Je vis autour quatre jeunes filles, toutes plus mignonnes l’un que l’autre, qui avait l’air de la bonne affaire ; la plus petite nous disait que si nous voulions entrer : 50 centimes aux premières et 25 centimes aux secondes, nous verrions des beaux tableaux vivants, une affaire comme on en encore jamais vu depuis longtemps.
- « Ol est ithi qu'o n'en rontrit dau meinde, la madame thi recevait la mouné peuvait à peine vreti ; toutes lés piaces siront d'austoût prises. »
- C’est ici que rentrait le monde, la madame qui recevait la monnaie pouvait à peine fournir ; toutes les places furent aussitôt prises.
- « In cot rentré thiés meindes ne challegiront jà à nous feire veure ce que le nous aviant premis : v'la la berlinette thi soune, le ridè se leve et on voué le premaie tablieau : Saint Antoine et une belle demouéselle. »
- Un coup rentré ce monde ne réussira t-il à nous faire voir ce qu’il nous avait promis : voilà le grelot qui sonne, le rideau se lève et on voit le premier tableau : Saint-Antoine et une belle demoiselle.
- « Le ne grouillant pa pu que si l'aviant été en marbre, meis le sont vivants ! La demouéselle v'drait la bisaie et li n'o veut pas ; ol en at beacot thin ne feraient pas queume li si l'étant à sa piace. »
- Ils ne bougent pas plus que s’ils étaient en marbre, mails sont vivants ! La demoiselle voudrait la bise et lui ne le veut pas, il en est beaucoup de ceux qui ne feraient pas comme lui s’ils étaient à sa place.
- « Au sequiend cot de berlinette, y vayant la feuille de Pompée aux péds de Césare, thi vint demondaie à thieu chéti gar que le ne fase pas copaie le cou à san bounhomme de père, le ne veut rein étondre, de son degt l'a l'air de li dire "virte d'ithi, virte d'ithi..." On creirait pat moument que le sont en cire, le ne bougeant rein, meis ce que l'on appelle rein : ol est thieu thi foit qu'el est bè. »
- Au second coup de grelot, nous voyons la fille de Popée aux pieds de César, elle vient demander à ce méchant gars qu’il ne fasse pas couper le cou à son bonhomme de père, il ne veut rien entendre, de son doigt il a l’air de lui dire ; « Pars d’ici, pars d’ici... On croirait par moment qu’ils sont en cire, ils ne bougent pas, mais ce que l’on appelle rien : c’est cela qui fait que c’est beau.
- « In moument apraie, meis pousie de temps quond meime pace que le ne musant rein, le nous fasiront veure Cléopâte.
- Thiau thi est in dos pu bès et le sont tout in soulea les ins mottés, lés autes debout ; ol en at thi avant dos mogues, lés autes dos potets et le s'arrousant après la dalle d'au cou. »
- Un moment après, mais peu de temps quand même parce qu’ils ne traînent pas, ils nous font voir Cléopâtre.
- Celui-ci est dans les plus beaux et ils sont tous les uns mottés, les autres debout ; ils y en qui ont des tasses les autres des pichets et ils s’arrosent sur la dalle du cou.
- « Le n'ayiront pas putout bu que le cheusiront de tous les coûtés ; il avoit dèque feire pitié à veure, ol en avoit thi se teniant le vontre, s'arrachiant les piaux… meis rein ne bougeait. Tout thiau meinde n'avoit-ail pou bu dau vin d'Hyères !!! »
- Ils n’avaient pas encore beaucoup bu qu’ils tombèrent de tous les côtés ; ils avaient déjà fait pitié à voir, ils y en avaient qui se tenaient le ventre, s’arrachaient les cheveux… mais rien ne bougeait. Tout ce monde n’avait-il pa bu du vin d’Hyères !!!
- « O ne faut pas creire que le deraie était vilain, l'était bè li otout, le le noumant Achylle. »
- Il ne faut pas croire que le dernier n’était pas beau, il était beau lui aussi, il le nommait Achille.
- « Avant de rontraie i ne savais ce que thieu pouvait être, meis asteure yo sait. Ol y avoit trois belles demouéselles avecque des thiulottes si étreintes qu'on arait dit qu'ol était dos caniceins, a l'étiant abriayes avecque de la dentelle ; ol y en avoit otout in aute, grousse de figure avec dos piaux thi li devalliant jusqu'au courpegnein, thi avoit davant lé in peupire de musique et avoit l'air de feire le portait des autes. »
- Avant de rentrer, je ne savais pas ce que cela pouvait être, mais maintenant je le sais. Il y avait trois belles demoiselles avec des culottes si étroites qu’on aurait dit des caleçons, elles étaient habillées avec de la dentelle ; il en avait une autre, grosse de figure avec des cheveux qui descendaient jusqu’aux reins, celle-ci avait devant elle un pupitre de musique et avait l’air de faire le portrait des autres.
- « Si o nest pas qu'i'avait vu thiés demouéselles auparavant i'avais créyu qu'ol était ine de thiés images queme on en veut chez les marchonds de cires. O ne m'étoune pu rein avoure queme o rontrait tant de meime veure thiés tableaux : cinq sous, dix sous, ne sont jà ine grousse soume et on peut dire apraie aver vu tout thieu que la mouétrasse de thiau musée n'est poué chérante... »
- Si ce n’est pas que j’avais vu ces demoiselles avant, j’aurais cru qu’elles étaient des images comme on en voit chez les marchands de cires. Je ne m’étonne plus de rien quand on a vu tant de monde qui entrait voir ces tableaux : cinq sous, dix sous ne sont pas déjà une grosse somme et on peut dire après avoir vu tout ça que la maîtresse de ce musée n’est point chérante… (demander peu d’argent).
- (1) Persée et la Gorgone par Marquestre (Bronze) 1880
Quelques notes personnelles sur le Patois utilisé dans le paragraphe ci-dessus
- L’écriture du patois poitevin utilisé dans le niortais est bien souvent la traduction phonétique d’un langage utilisé le plus souvent dans les campagnes.
- On peut constater que les mots et leurs prononciations peuvent varier sensiblement en passant d’un canton à l’autre du département des Deux-Sèvres…
- Les mots utilisés en patois poitevin n’ont pas une orthographe et une grammaire vraiment codifiés même si l’on trouve quelques constantes.
- L’intonation des mots est primordiale pour une compréhension précise...
- L’objectif de ce petit texte en patois est d’être lu par tous ceux qui parlent encore ce dialecte poitevin ou qui le comprenne...
Sources
- Mémorial de l’Ouest 1888.
- Archives 79.
- Musée d’Agesci.
- JMD